2001, l’Odyssée des typographies Kubrick
Temps de lecture : 5 minutesAprès Sergio Leone et Hitchcock, nous poursuivons aujourd’hui notre voyage dans le monde des polices cinématographiques avec les typographies Kubrick.
Typographies Kubrick : mais qui es-tu Stanley ?
Figurant au panthéon du 7ème art, Stanley Kubrick n’en demeure pas moins un cinéaste clivant. Certains lui prête un cinéma maniéré et superficiel. A contrario, d’autres voient en lui un visionnaire au talent rare. La vérité se situe sans doute entre les deux et n’entre pas vraiment dans le champ de notre sujet. Plutôt que son supposé talent, ce qui nous intéresse en effet est davantage son utilisation du lettrage, notamment à travers les génériques d’ouvertures de ses films. Nous avons ainsi sélectionné 5 de ses long métrages qui reflètent sa vision typographique des plus singulières.
Typographies Kubrick : Strangelove
Nous débutons notre voyage dans les typographies Kubrick par un film un peu spécial : Dr Strangelove. Après avoir traité de nombreux thèmes différents (thriller, film historique…), Kubrick s’attaque à la comédie avec son septième long-métrage. Ou plutôt à la satire grinçante. Strangelove traite en effet de façon parodique de la Guerre Froide. A l’époque de sa sortie dans les salles obscures en 1964, les tensions entre les États-Unis et la Russie étaient à leur paroxysme. Kubrick s’en sert comme terreau pour développer une critique mordante sur la guerre et sur l’époque grâce à son style tout en dualité (mort et sexe, humour et drame).
Le générique d’ouverture donne le ton. Un lettrage décomplexé presque enfantin se déroule sur fond d’un ravitaillement aérien militaire. A la fois étiré et fin, il reste lisible tout en permettant de profiter pleinement des images. Créé par Pablo Ferro, ce générique fait figure de référence et témoigne du talent immense de ce designer d’origine cubaine. Son nom est loin d’être inconnu pour les amateurs de cinéma puisqu’il a créé les titres de plus de 100 films dont “La Famille Adams”, “Beetlejuice” ou encore “Men in Black“. Il collaborera en outre derechef avec Kubrick pour la bande annonce du mythique “Orange Mécanique”.
Typographies Kubrick : 2001, l’Odyssée de l’espace
Film de science-fiction sorti en 1968, 2001, l’Odyssée de l’espace est considéré comme un long-métrage visionnaire puisqu’il voit le jour un an avant le supposé premier alunissage. L’Odyssée de Kubrick fait ainsi parfaitement écho à la ferveur spatiale de l’époque.
Porté par des images d’un lever de soleil sur une composition de Strauss, le générique d’ouverture se déroule dans une police Gil Sans, une typographie sans empattement relativement classique parfois surnommée Helvetica Britannique.
Créée par Eric Gill en 1928, cette font s’inspire des caractères du métro londonien. Son succès est toujours d’actualité puisque qu’elle utilisé par de nombreuses marques (BBC, Tommy Hilfiger…) pour leur logo. Kubrick a surtout été séduit par cette police pour sa lisibilité, une condition qu’il recherche presque systématiquement pour tous ses génériques. Et pour une coquetterie absolument délicieuse : les zéros de 2001 sont remplacés par la lettre 0 !
Typographies Kubrick : Shining
Sorti en 1980, Shining brille par sa séquence d’ouverture qui symbolise parfaitement la vision typographique de Kubrick. On y suit une voiture qui roule dans un paysage montagneux et isolé. Une musique un tantinet inquiétante l’accompagne. Soudain, le titre du film Shining apparait dans une police de caractère bien précise : une Helvetica neutre. Aussi célèbre que répandue, cette typographie renforce le trouble ambiant notamment en raison de la pureté de ses formes et surprend en raison de sa couleur quelque peu perturbante.
Au delà de ses qualités, Shining est resté célèbre car il exprime le degré d’exigence absolument démentiel de Kubrick. Une exigence qui touche la typographie… afin de réaliser l’affiche de son film, Kubrick fait appel au légendaire Saul Bass. Graphiste mythique, Bass avait déjà réalisés de véritables chefs-d’œuvre pour Hitchcock ou encore Ridley Scott. Il fit donc 5 propositions à Kubrick, toutes rejetées par le maître. Insatisfait du lettrage, qu’il qualifie d’illisible, Kubrick lui fera alors faire plus de 300 croquis avant d’être satisfait par la typographie !
Typographies Kubrick : Barry Lyndon
Sorti en 1975, Barry Lyndon est un long-métrage à part dans la filmographie de Kubrick et mérite pleinement de figurer dans les typographies Kubrick. Il fut entièrement tourné à la lumière naturelle (!) et n’aborde pas les thèmes habituels du réalisateur. En outre, c’est l’une des rares fois où une police de caractères à empattement est utilisée. Eh oui, pour une fois, Kubrick fait une entorse à son amour pour le minimalisme classique !
Créée par Bill Gold après des semaines d’échanges intenses avec Kubrick, cette typographie aux fioritures délicieuses est utilisée pour le générique d’ouverture et les titres de chapitres. Graphiste célèbre pour avoir créé des affiches de films pour Hitchcock ou Eastwood, il signe là une de ses plus grandes réussites typographiques.
Typographies Kubrick : Eyes Wide Shut
Dernier film de Kubrick, Eyes Wide Shut (1999) est un drame faussement érotique destiné à des personnes à la sexualité désertique. Ce qui nous intéresse ici est la typographie choisie pour le générique d’ouverture : la Futura en version Extra Bold. Police favorite de Kubrick, la Futura offre une clarté visuelle indéniable tout en affichant un minimaliste élégant. Elle symbolise ainsi à merveille la vision typographique de Kubrick et sa façon épurée de concevoir l’esthétisme.
Typographies Kubrick : l’amour du minimalisme
Ce voyage au cœur de l’univers de Kubrick met en lumière un fait indéniable. Contrairement à certains cinéastes qui faisaient preuve d’avant-gardisme typographique, Kubrick semble rechercher en priorité la lisibilité à travers le minimalisme et le classicisme. Ses polices de caractères sont en effet la plupart du temps sans empattement. Certaines sont extrêmement répandues et pourraient donc apparaître comme éculées. Et pourtant, Kubrick arrive à les rendre iconique.
Typographies Kubrick : collaborations et déceptions
En outre, comme beaucoup de ses confrères, il n’a pas hésité à faire appel à des grands noms du graphisme comme Saul Bass par exemple. La plupart du temps hachées et rendue difficiles par le caractère et l’exigence de Kubrick, ses collaborations ont aboutit sur des résultats décevants, hormis Barry Lindon. A être trop autoritaire et inutilement maniéré, Kubrick n’a finalement pas autant marqué le monde de la typographie que Sergio Leone ou Hitchcock. Sans doute en raison d’une absence de fantaisie et d’inspiration dû à une certaine rigidité intellectuelle.